Un projet de Fondation

Felix Ciccolini
Félix Ciciolini

En 1971, lorsque Félix Ciccolini débute son second mandat de maire d’Aix-en-Provence, il doit administrer une ville en pleine mutation.

En effet, Aix-en-Provence tire alors profit de l’installation de nouveaux établissements d’enseignement supérieur, du développement industriel que connaît le Sud-Est de la France (création du pôle pétrochimique de l’étang de Berre, du centre d’études nucléaires de Cadarache). De plus, depuis les années 1950, la cité bénéficie des effets du développement d’un tourisme de masse. Elle multiplie les animations estivales, telles que le Festival de musique lyrique (créé en 1948). Aix-en-Provence, qui se présente comme une ville d’art et de musées, est alors dotée de sept musées, soit un musée pour 25 000 habitants quand Paris en compte 1 pour 31 700 habitants ; leur fréquentation est en augmentation, en grande part du fait du tourisme culturel.

Au début des années 1970, Aix-en-Provence est donc une des villes les plus dynamiques de l’espace français.
La population a presque triplé en trente ans, passant de 54 000 habitants en 1954 à 137 000 en 1982. Toute la “cuvette” où est construite Aix-en-Provence est désormais investie ; la ville déborde au-delà de ses limites naturelles afin de permettre la construction d’ensembles immobiliers. Ils sont édifiés sur les hauteurs, au nord, dans les années 1960-70, puis à l’ouest, jusqu’au quartier du Jas de Bouffan.
Le 16 avril 1969 est prise la décision de réaliser une Zone d’Aménagement Concerté au Jas de Bouffan. Il s’agit de construire 5075 logements moyens, des écoles, commerces, un C.E.S. de 120 élèves, un stade et un centre omnisports sur 169 hectares de terrain.
Dans Le Courrier d’Aix du 22 décembre 1973 (n° 159), F. Ciccolini explique la nécessité du projet et la façon dont la ville entend le mener : « … en réalité, ce quartier en pleine expansion symbolise notre ville tout entière qui, depuis quelques années subit une des plus fortes mutations de son histoire. »
Aix-en-Provence vivait jadis presque essentiellement repliée sur son passé et ses traditions. Elle est aujourd’hui plus ouverte au monde des activités industrielles et commerciales.
Il devenait indispensable de rechercher un équilibre économique et de bénéficier d’une part de l’expansion régionale.
Il fallait éviter la sclérose, mais aussi de faire obstacle au gigantisme des villes dortoirs tout en sauvegardant l’attrait culturel et touristique.
Rapidement, Victor Vasarely arrête son choix sur Aix-en-Provence. Dans une note qu’il rédige à ce sujet, il explique : « L’emplacement de ce centre m’a préoccupé depuis plus de vingt ans. Tout au début, je l’imaginais à la Garrigue, près de ma maison où je possède quelques hectares de terre sauvage. J’y ai renoncé en faveur des « Cèdres », site magnifique au nord de Cabrières-d’Avignon. L’isolement, le manque de voirie et l’avis défavorable de la Commission des Sites, militaient contre ce choix. Entre-temps, mon Musée Didactique a pris forme au Château de Gordes. A trois kilomètres de celui-ci, le site dit « La Gardette » s’offrait par la suite comme une bonne solution… Une compétition s’engageait alors entre trois villes : Avignon, Marseille et Aix-en-Provence. Avignon offrait un beau mais vétuste bâtiment, il était même question d’une aile du Palais des Papes. J’estimais que le Château de Gordes classé monument historique suffisait en tant que témoignage architectural du passé. Pour une institution d’avant-garde, il fallait construire un bâtiment ultra-moderne. Les espaces étendus de l’Université Marseille-Luminy ont été très sérieusement envisagés. Deux obstacles majeurs se dressaient cependant : d’abord les approches difficiles pour y accéder, car l’immense agglomération embouteillée aurait découragé les visiteurs ! Ensuite, une certaine dépendance était à craindre à la longue… Or l’esprit et les buts de la Fondation nécessitaient une liberté d’action totale. Le choix d’Aix-en-Provence – en dehors du geste de la municipalité et du dévouement des personnalités de la ville a été dicté par le riche passé d’Aix-en-Provence, ses activités artistiques et architecturales, son festival réputé, son réseau autoroutier exceptionnel, et enfin, mon admiration pour Cézanne. En effet, la Fondation se situe au lieu-dit “Jas de Bouffan”, où l’initiateur génial des arts plastiques du présent a vécu ».
Victor Vasarely accepte donc la proposition de la municipalité d’Aix-en-Provence qui, après avoir délibéré les 30 mars 1973 et 9 juillet 1974, consent à céder à la Fondation les terrains sur lesquels sont édifiés ses bâtiments.

 

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Victor Vasarely, Jean Sonnier et Dominique Ronsseray (architectes)

Dès 1973, donc, les travaux de construction de la Fondation débutent. Jean Sonnier et Dominique Ronsseray, architectes des Monuments historiques sont chargés par Victor Vasarely de réaliser le projet qu’il a personnellement conçu.

 

Il choisit de construire un bâtiment comprenant seize hexagones de 14 mètres de largeur entre côtés opposés. Il s’inscrit donc dans un rectangle de 87 mètres de long sur 40 mètres de large.

 

Au rez-de-chaussée, sept alvéoles, de 11 mètres de hauteur, accueillent ses quarante-deux intégrations architectoniques. Le reste est constitué d’une salle de conférence–auditorium, d’une bibliothèque, et de réserves.

 

A l’étage, Vasarely prévoit d’installer des bureaux et des ateliers pour qu’y soient réalisées de nouvelles recherches ou conçues de nouvelles intégrations.

 

Après appels d’offre, les entreprises sont sélectionnées. Mis à part pour les interventions nécessitant des technologies les plus avancées, Victor Vasarely et son équipe choisissent des entreprises locales.

En décembre 1973, la première pierre est posée. A cette occasion, Victor Vasarely dépose dans les fondations du bâtiment un message dont il ne livre que les premiers mots : « De Cézanne à Vasarely : nous serons dignes. » La construction comprend de nombreuses difficultés techniques.

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Composée de plaques d’aluminium anodisées blanc ou noir, la façade reprend le motif de l’unité plastique. Chaque panneau décoratif couvre une surface de 70 m2. L’agencement et l’esthétique doivent être parfaits pour que s’opère l’effet optique désiré par le plasticien.

Tout en innovant sur l’aménagement de l’espace, l’éclairage, l’utilisation des matériaux, il marque sa volonté de s’inscrire dans une histoire, une culture, en imposant la construction d’un escalier sur le modèle de ceux des châteaux Renaissance de Blois ou de Chambord. Inscrit dans un hexagone, l’escalier à double révolution relie le rez-de-chaussée à la partie du premier étage ouverte au public. Chacune des deux rampes se découpe en trois volées de marches successives, avec deux paliers intermédiaires. Le garde-corps, lui, est résolument moderne dans le choix de ses matériaux : panneaux métalliques et plaques de verre.

La première partie des travaux est réceptionnée en novembre 1975. Et déjà, c’est vers la réalisation des quarante-deux intégrations et l’aménagement intérieur du bâtiment que se tourne son créateur.

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Les plans sont prêts et la répartition des œuvres est déjà pensée de façon à permettre au visiteur de suivre une progression dans la découverte des couleurs, des matériaux, des jeux optiques et cinétiques, de façon à stimuler sa participation, mais aussi de manière à le déstabiliser, à le perdre, physiquement, dans cet espace saturé de couleur et aux limites sans cesse questionnées.

Des entreprises ayant travaillé lors la première phase du chantier sont de nouveau employées pour certains travaux. Elles vont réaliser les structures en bois des œuvres en mosaïques ou émaux de Briare, suspendre les œuvres cinétiques en verre, poser les « unités plastiques » en carton peint découpées à la main dans la salle consacrée au « Folklore planétaire »…

Pour le reste, en fonction des matériaux souhaités, les entreprises sont à nouveau sélectionnées. A elles de réaliser, à partir des plans de Victor Vasarely, des œuvres qui mesurent jusqu’à huit mètres de haut sur 6 mètres de large.

Mis à part les tapisseries, les tapis et deux œuvres en aluminium, toutes les intégrations sont assemblées sur place. C’est l’architecte Dplg, Claude Pradel-Lebar, qui sera le conseiller de Victor Vasarely pour la réalisation des 42 œuvres monumentales. C’est également lui qui dirigera le centre architectonique de 1975 à 1982.

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Comme pour la construction, Vasarely ne laisse rien au hasard en ce qui concerne l’aménagement intérieur : pierre marbrière des Alpes, matériel de projection de pointe pour l’auditorium, sonorisation des espaces d’exposition, insonorisation des bureaux et des ateliers de recherche… Les banquettes et les bancs sont commandés au designer Veranneman, qui en échange fait réaliser par Victor Vasarely une sculpture et un portail pour sa propre Fondation.

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Inauguration de la Fondation, le 14 février 1976 en présence de Jacques Chirac, premier ministre, Michel Guy ministre de la culture, Felix Cicoolini, maire d’Aix-en-Provence et Claude Pompidou.

 

Le 14 février 1976, la Fondation Vasarely est inaugurée, en présence de Madame Claude Pompidou, de Jacques Chirac, alors Premier ministre, et de Michel Guy, Secrétaire d’Etat aux Affaires culturelles.

Le bâtiment a été construit entre 1973 et 1976 (année de son inauguration). Il n’appartient à aucun courant architectural même si son esthétisme renvoie aux années soixante – dix, tant pour le choix des matériaux (verre, aluminium anodisé), que pour la volonté dont il témoigne de rapprocher architecture et design technologique.

Traité comme une sculpture lumino-cinétique monumentale, c’est un exemple remarquable de synthèse entre architecture et arts plastiques. Pour son plan, le plasticien et le maître d’œuvre (l’architecte Jean Sonnier) ont opté pour un système alvéolaire constitué de 16 hexagones : une forme géométrique que Victor Vasarely avait combinée de manière récurrente dans sa série « Hommage à l’hexagone ».

 

Offrant 5000 m2 de plancher, il bénéficie d’un éclairage zénithal exceptionnel grâce à quatorze coupoles pyramidales. En façade, un mur rideau montre une alternance binaire de cercles et de carrés, noirs et blancs. L’animation de la façade et ses jeux optiques préfigurent les animations cinétiques et optiques que le visiteur découvrira une fois les portes franchies.